Etienne Tshisekedi, la naissance de l’opposition à Mobutu

Quand les plus jeunes parlent d’Etienne Tshisekedi, ils évoquent souvent une figure politique qui a toujours connu l’opposition. Il n’en a pas toujours été le cas. M. Tshisekedi a occupé plusieurs postes ministériels au cours de la décennie 1960.

Mais cette réputation d’opposant irréductible, Etienne Tshisekedi ne l’a pas  volé. Il s’est frontalement opposé au président Mobutu dont il a été un proche.

C’est à partir des années 1970 que les deux hommes commencent à s’éloigner l’un de l’autre. Tshisekedi se montre de plus en plus critique vis-à-vis du régime Mobutu. Pendant environ deux décennies, Etienne Tshisekedi a été l’opposant le plus virulent du régime Mobutu.

Alors que l’opposant vient de décéder à Bruxelles à l’âge de 84 ans, nous vous racontons le début de l’opposition d’Etienne Tshisekedi au Maréchal Mobutu jusqu’à la création de l’UDPS.

La rupture

S’il faut retenir un événement comme l’acte fondateur de l’opposition politique au Zaïre de Mobutu, c’est bien celui-là : la lettre des treize parlementaires.

En décembre 1980, treize membres du Parlement, dont Etienne Tshisekedi, adressent une lettre ouverte au président Mobutu.

Cinquante-deux pages dans lesquelles ils dénoncent la dérive dictatoriale du régime et les mauvaises conditions de vie de la population. La lettre fait l’effet d’une bombe au pays de Mobutu.

Tout n’a pourtant pas commencé en ce mois de décembre 1980. En fait, les idées contre le régime circulent dans le milieu parlementaire depuis quelques années déjà.

Protais Lumbu fait partie de ceux que l’on finira par appeler les « Treize parlementaires ».

En juin 2016, nous avons interrogé Protais Lumbu sur cette période mouvementée de la vie politique congolaise.

En 1975, il est un jeune député, étudiant en droit. Il rédige son mémoire sur le mandat parlementaire et fait la connaissance d’Etienne Tshisekedi, vice-président de l’Assemblée nationale, qui l’aide à accéder à la bibliothèque du Parlement. Les deux hommes parlent beaucoup de politique.

De ces discussions, M. Lumbu va garder l’impression d’un Tshisekedi opposé au régime de Mobutu.

« Il m’a convaincu en ce moment-là que même le président du Parlement ne disait pas grand-chose au président Mobutu. Le président Mobutu décidait tout seul », confie-t-il.

Alors que des élections législatives sont organisées il y a deux ans seulement, Mobutu annonce de nouvelles élections en 1977 au suffrage universel cette fois-là.

Les candidats mènent campagne dans leurs circonscriptions. Tshisekedi affirme que c’est au cours de cette campagne électorale qu’il se rend compte du niveau de mécontentement de la population.

« En 1977, après les critiques de partout particulièrement de l’Occident, Mobutu  était obligé d’organiser des élections et de donner à ces élections une apparence de démocratie. Comme toujours, il voulait donner l’impression qu’il faisait quelque chose de démocratique, alors qu’il faisait le contraire. J’ai été encore une fois élu comme député dans cette législature-là. Mais la population ne voulait plus des pratiques de Mobutu. Pour être élu, il fallait qu’on critique tout ce qu’on vivait comme Mobutisme. Il fallait critiquer. C’est comme cela que la population aimait notre discours et nous a fait confiance pour nous élire une deuxième fois », raconte Etienne Tshisekedi.

Après sa réélection comme député, Tshisekedi demande à voir Mobutu pour lui faire part du mécontentement qui monte à travers le pays.

En 2011, l’opposant avait raconté à Radio Okapi cette entrevue avec le président de la République. Une discussion révélatrice du fossé qui sépare désormais les deux hommes.

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Les 13 parlementaires

Tshisekedi n’est pas le seul à assumer la rupture avec le régime Mobutu.

Parmi les parlementaires élus au suffrage universel en 1977, on parle de changement, d’Etat de droit, de démocratie.

Protais Lumbu est invité par Ngalula, un autre député, à prendre part à certaines réunions où on discute de ces sujets.

Il y rencontre d’autres parlementaires dont Etienne Tshisekedi.

M. Lumbu affirme avoir participé à certaines réunions qui se sont tenues à la résidence de Tshisekedi.

Dans les réunions auxquelles il participe, Protais Lumbu est mis au courant de la rédaction d’une lettre qui doit être adressée au président Mobutu.

Comme d’autres parlementaires, il contribue à la rédaction de cette missive.

Selon M. Lumbu, la mouture finale de la lettre sera rédigée par Ngalula.

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Comme les autres parlementaires qui prennent part aux réunions, Protais Lumbu tente de convaincre d’autres collègues à signer la lettre. Au final, ils seront 13 qui vont signer cette correspondance.

Arrestations

Alors qu’ils voulaient remettre la lettre en main propre à Mobutu, les 13 parlementaires n’auront pas cette occasion.

Le 30 décembre 1980, des membres des services de sécurité débarquent chez Ngalula qui, selon Protais Lumbu, était le « rédacteur en chef » de cette lettre. Ils emportent les copies de la lettre et arrêtent le député.

Un autre député venu signer la lettre n’aura pas l’occasion de le faire.

M. Lumbu, présent au moment de l’arrestation avec le député Kapita, réussit à emporter quelques exemplaires chez lui à la maison.

Informés de l’arrestation de Ngalula, d’autres parlementaires dont Etienne Tshisekedi, Kapita, Kanana, Lusanga et Makanda se rendent à la cité de l’OUA où est détenu leur collègue, raconte Protais Lumbu.

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Aux dires même de Tshisekedi, la lettre met Mobutu en colère.

Les 13 parlementaires sont arrêtés et jugés par la Cour suprême de justice après la levée de leur immunité.

Protais Lumbu relate qu’après l’instruction pré-juridictionnelle, Mobutu amnistie les parlementaires en janvier 1981.

Mais le comité de discipline du MPR sanctionne les « 13 » pour « manquement grave » au parti. Ils perdent leur mandat.

Alors qu’ils sont libérés et pensent pouvoir rejoindre leurs domiciles, les 13 parlementaires apprennent qu’ils sont relégués dans leurs provinces d’origine sur décision du ministère de l’Intérieur.

C’est en 1981 qu’ils vont rejoindre Kinshasa.

Naissance de l’UDPS

A son retour dans la capitale, Protais Lumbu qui avait été relégué au Shaba (ancienne appelation du Katanga) retrouve ses compagnons à qui se sont ajoutés d’autres personnalités comme Kibasa et Dikonda.

Le groupe se reforme et décide de créer un parti politique en janvier 1982. Il organise des réunions chez Ngalula.

Informé de ces rencontres, le ministre de l’Intérieur, Felix Vunduawe, convoque les nouveaux opposants. Ces derniers lui expliquent que la constitution de 1967 leur donnait le droit de créer un deuxième parti politique à côté du parti-Etat, le MPR.

Les 13 parlementaires à qui se sont ajoutés d’autres parlementaires signent l’acte constitutif du nouveau parti politique, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS).

Le document est envoyé au ministère de l’Intérieur. Les membres du nouveau parti choisissent la date du 15 février comme jour de création de l’UDPS.

Une autre copie de cet acte constitutif est gardée à la résidence de Tshisekedi où d’autres personnalités se rendent pour signer et intégrer le parti.

En mars 1982, les premiers membres du parti sont arrêtés. Protais Lumbu est arrêté en compagnie de Kibasa, Lusanga et Kyungu. Ils sont rejoints par Birindwa et Tshisekedi. Ils sont conduits à la prison de Makala et jugés par la Cour de sûreté de l’Etat.

Le groupe s’élargit avec d’autres fondateurs du parti comme Makanda et Ngalula qui sont aussi arrêtés.

Ils sont tous condamnés à 15 ans de prison et envoyé dans les prisons à l’intérieur pour purger leurs peines.

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