En RDC, la crise est aussi économique

Chaque matin, à l’aube, les vendeurs à la sauvette comme les hommes d’affaires de Kinshasa, Lubumbashi et d’ailleurs consultent deux indicateurs. Le premier s’affiche sur leur smartphone : le cours du cuivre. Le second sur les tableaux noirs qui sont légion dans les centres-ville : le taux de change du franc congolais en dollar. Dans l’économie congolaise, jungle majoritairement informelle, dépourvue de suivi statistique précis et soumise à la volatilité des prix, ces deux chiffres constituent les seules balises.

Au sud-est du pays, lovée dans les monts verdoyants et les terrils, Lubumbashi, capitale de la province minière du Haut-Katanga, désespère. Le cœur économique du plus grand pays d’Afrique francophone bat au ralenti. Le prix de la tonne de cuivre a dégringolé sous la barre des 5 000 dollars (4 800 euros) en 2015, contre près de 8 000 dollars trois ans plus tôt, et remonte péniblement. Nombreux sont ceux qui, comme le géant anglo-suisse Glencore, ont suspendu leurs activités.

La soif du cuivre

« Le cours du cuivre a atteint sa valeur la plus basse depuis six ans ! », s’alarme la Fédération des entreprises du Congo dans son dernier rapport, pointant la perte récente de plus de 13 000 emplois dans le secteur minier qui, avec le pétrole, représente 95 % des recettes d’exportation du pays. De plus en plus de chômeurs errent dans les rues proprettes de l’ancienne Elisabethville, leur destin suspendu aux marchés des matières premières.

Au bout d’une avenue boueuse parsemée de barrages de policiers ivres et avides d’argent, l’une des dernières mines de la Gécamines se débat comme elle peut. A 25 km de Likasi (ex-Jadotville), Simon Tshirang, directeur du site minier de Kambove, est un survivant aussi usé que les installations datant du début du XXe siècle. « L’année a mal démarré et on ne produit plus que 20 000 tonnes de cuivre contre 450 000 tonnes à la fin des années 1980 », soupire-t-il.

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Société mythique et centenaire, la Gécamines désormais propriété de l’Etat, n’est plus qu’un « cadavre qui bouge encore un peu », selon l’un de ses cadres. Autrefois, elle faisait vivre toute la région, assurait les logements, la nourriture, les loisirs. Puis, ces dernières années, cette « vache à lait du régime » a été dépecée, cédant ses actifs miniers à des groupes opaques établis dans des paradis fiscaux et souvent détenus par des proches du président Joseph Kabila.

Parmi eux, un certain Dan Gertler, homme d’affaires israélien de 42 ans dont le nom figure dans les « Panama Papers ». Cet intime du chef d’Etat est soupçonné d’avoir bénéficié des largesses de la Gécamines à travers ses complexes circuits financiers offshore qui pourraient dissimuler des détournements de fonds.

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« Ce monsieur est arrivé avec rien ici, sinon quelques fonds que lui avait confiés son ami diamantaire Benny Steinmetz, et voilà qu’il a fondé un empire virtuel », déplore un homme d’affaires qui souffre de ne pas être en cour auprès du président. Car Joseph Kabila, avec ses proches, possède 70 entreprises actives dans les mines, la banque ou les hydrocarbures, selon une enquête de Bloomberg publiée en décembre.

L’emprise d’un clan

Plus qu’ailleurs, affaires et politique s’entremêlent en République démocratique du Congo (RDC). « Pour d’importants investissements, il faut l’accord du président ou de son entourage, ce qui n’était pas le cas autrefois, car les ministres avaient du pouvoir », confie un entrepreneur kinois très actif dans les mines.

Seuls les Chinois, qui consomment près de 40 % de la production cuprifère mondiale, continuent d’occuper le terrain. Leur drapeau flotte sur des terrils et des installations d’un autre âge. Ils achètent à bas prix les trouvailles de jeunes creuseurs illégaux qui risquent leur vie dans les entrailles du Katanga et les prises de receleurs de minerais volés dans les mines de la Gécamines par exemple. Ils investissent massivement à travers des sociétés opaques, mais ne créent pas d’emplois, constate un responsable local. « Tout investissement est le bienvenu, mais il est vrai qu’on apprécie les Chinois qui posent peu de conditions et font la distinction entre politique et business », lâche, conquis, un responsable politique de la province.