A l’est du Congo, la justice contre le viol se rend sous un chapiteau

Jeanne a enfilé une sorte de burqa confectionnée dans un tissu de wax bleu pour dissimuler tout ce qui pourrait fournir le moindre indice de son identité. Puis, accompagnée de son avocate, elle s’est rendue au tribunal pour témoigner. Pas un tribunal ordinaire, fait de murs et d’un toit, mais un chapiteau de toile verte, ouvert aux quatre vents, planté au centre de Kiwanja, un gros bourg rural du département de Rutshuru, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC).  

Face aux juges militaires et aux hommes qui l’avaient violée, la jeune fille de 17 ans, originaire d’un village situé à quelques kilomètres de là, a décrit ses deux jours de calvaire dans la brousse avec les autres femmes kidnappées. Comme elles, Jeanne* était juste partie au champ et à la rivière pour prendre de l’eau.

« Audiences foraines »

Le 14 juin, après quatorze jours de procès durant lesquels, outre son cas, 28 autres affaires étaient traitées, le verdict est tombé. Onze condamnations à mort et quatre acquittements, énoncés par un magistrat en treillis debout devant une table en bois recouverte du drapeau congolais.

« Je suis soulagée que mes bourreaux soient condamnés. Je me sens plus calme même si, maintenant, il est difficile de rester vivre dans mon village. Je suis devenue un sujet de moquerie. » Et la peur n’a pas disparu.

« Tous n’ont pas été arrêtés. Ils peuvent revenir. Avec l’argent des enlèvements, ils ont des armes, de la drogue, de l’alcool et ils font n’importe quoi.  »

Pour raconter son histoire, Jeanne est venue par sécurité à Goma dans la clinique juridique créée par l’ONG Dynamique des femmes juristes. C’est ici qu’elle a trouvé le soutien pour aller jusqu’au bout de cette procédure débutée peu de temps après les faits, en janvier. En plus d’une avocate, elle a reçu l’assistance d’une psychologue et a pu voir un médecin à l’hôpital Heal Africa. « J’ai décidé de porter plainte parce que je n’étais plus contente, je n’étais plus joyeuse », explique-t-elle avec ses mots d’adolescente, dans une pièce privée de lumière par une coupure d’électricité, les deux mains sagement posées sur ses genoux.

Sa protection et les frais liés à la procédure (avocat, transport, hébergement), sans oublier l’histoire qu’il a fallu inventer pour justifier son absence, ont été assurés par les Nations unies dans le cadre de la politique de lutte contre l’impunité dans l’est de la RDC. Les « audiences foraines », qui permettent de délocaliser le tribunal de Goma, chef-lieu administratif du Nord-Kivu, sont censées améliorer l’accès à la justice et la perception qu’en a la population, otage depuis plus de vingt ans des conflits régionaux, des bandes armées, avec les crimes de masse qui les accompagnent. Les femmes en sont les premières victimes. Tout comme elles sont les premières victimes des agressions individuelles qui se multiplient.