RD Congo : Kinshasa, belle et rebelle

C’est dans les rues de la capitale congolaise que tout pourrait se jouer quand le mandat du président Joseph Kabila aura officiellement expiré, le 19 décembre. Portrait d’une ville gigantesque et bouillonnante, traditionnellement acquise à l’opposition mais difficile à mobiliser.

Il est midi. Le soleil écrase le macadam du boulevard Triomphal. De part et d’autre de cette vaste artère dépourvue d’ombre, des terrains vagues et les clôtures infranchissables de l’église du Centenaire, du Palais du peuple et du stade des Martyrs. Dieu, la politique et le foot.

La trinité des passions congolaises au beau milieu de la capitale. Mais pas un arbre, pas un ligablo (stand abrité sous un parasol) ni même un « chayeur » (vendeur ambulant) : l’agitation brouillonne, si caractéristique de la ville, n’a pas sa place ici. Le cœur de Kin n’est pas une agora, c’est un no man’s land, une ligne de front qui la sépare en deux.

Au nord, la commune de la Gombe, ses résidences, ses ambassades, ses hôtels chics et ses coûteux restaurants où l’ont peut déguster crocodile du fleuve et cossas-cossas (crevettes d’eau douce). On y trouve aussi le boulevard du 30-Juin, rivière de goudron où prend racine une forêt d’immeubles dont les cimes narguent le reste de la ville. Toute proche, la colline de Ngaliema, Beverly Hills kinois, loge les plus fortunés.

Au sud, c’est un univers radicalement différent : celui de « la cité », un ensemble de quartiers déshérités et surpeuplés. Le matin, ils se vident de leurs habitants, partis à la recherche de « coops », ces petits arrangements – souvent à la frontière de la légalité – qui compensent des salaires trop faibles pour survivre à Kin. Le soir venu, on s’en remet à la prière et à l’un de ces pasteurs évangéliques dont les portraits pullulent sur les panneaux publicitaires, on s’enivre de bière et de musique sur les chaises en plastique des nganda (terrasses des bistrots). Et, parfois, la colère déborde.

Épisode historique

C’est de cette zone que sont venus les manifestants du 19 septembre. Pendant des heures, les autorités ont échoué à les contrôler, pour le plus grand bonheur des pilleurs. Et puis la vague contestataire s’est brisée sur le boulevard Triomphal, où la police tenait fermement son barrage. Les affrontements ont été violents : 56 morts selon Human Rights Watch (32 selon les autorités), le siège de certains partis incendiés et des boutiques éventrées. Cet épisode, quasi identique à celui de janvier 2015, a valu au gouvernement les critiques des capitales occidentales. Mais il a aussi eu un effet dissuasif sur les mécontents. Depuis, les manifestations ont été interdites dans la capitale. Ainsi en a décidé le gouverneur de la ville, André Kimbuta.

Cela n’a pas apaisé l’opposition. Le vieil Étienne Tshisekedi, son leader depuis trente-cinq ans, promet une véritable révolution pour le 19 décembre. Ce jour-là, l’ultime mandat du président Joseph Kabila arrivera à échéance, mais, peu pressé de passer la main, le pouvoir n’a pas organisé de scrutin. Le 18 octobre, il a certes passé un accord avec certains opposants, dont Vital Kamerhe et Samy Badibanga (nommé Premier ministre le 17 novembre), pour reporter l’élection à avril 2018. Mais Tshisekedi et la majeure partie des adversaires du chef de l’État sont restés inflexibles.

« Désormais, nous sommes dans une épreuve de force, soupire un diplomate en poste à Kinshasa. L’opposition promet de prendre le pouvoir par la rue, et le gouvernement pense pouvoir mater la contestation. »