RD Congo : malgré l'Accord, un pays dans l'expectative

Alors que le président Kabila est toujours là, la RDC doit de nouveau faire face à ses contradictions politiques et ses incertitudes sociales et économiques.

« On a été déçus quand on a appris que Joseph Kabila allait rester au pouvoir encore pendant un an, mais bon, on s'y est fait. On observe les politiques et on verra après », soupire, un tantinet amer, Alain, un habitant de Lemba, une des communes populaires de Kinshasa. À l'évidence, bien des Congolais, à l'instar d'Alain, ont eu du mal à avaler la pilule. Car à la place d'un carton rouge, c'est une prolongation d'un an à la tête du pays qui a été accordée au président Joseph Kabila, dans le cadre de l'accord signé le 31 décembre 2016 entre l'opposition regroupée autour du Rassemblement des Forces politiques et sociales acquises au changement, présidé par Étienne Tshsekedi, et des membres de la Majorité présidentielle, sous l'égide de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco). En outre, les dernières négociations de l'accord politique portant sur « les arrangements particuliers » avançant à petits pas, la question de savoir si le Rassemblement aurait dû aller négocier avec le régime de Kabila ou non, reste posée.

« Éteindre le feu et faire passer la pilule »

Sur ce plan, Thierry Nlandu, professeur à l'Université de Kinshasa et consultant, est formel : « On était dans un processus de mobilisation populaire qui allait aboutir et mettre fin à un système. Mais ce mouvement, semblable à celui du Burkina Faso qui a chassé Blaise Compaoré, a fait peur. On a brandi le spectre du chaos et face à cette menace, toutes les forces politiques sont entrées dans le jeu. Mais les Congolais vivent le chaos au quotidien depuis des années. On veut sauver la paix, mais il n'y a pas de paix depuis vingt ans. Dans l'est de la RDC, c'est la guerre avec arme et dans l'ouest, c'est une guerre sans arme. La situation sociale est telle que personne n'est en paix. On a l'impression que l'Église catholique n'a eu pour rôle que d'éteindre le feu et de faire passer la pilule. C'est comme si cette grande puissance ne voulait pas d'un soulèvement populaire qui mettrait fin à un régime comme celui-ci. »

Pour d'autres, l'accord est une victoire de la population, du Rassemblement et de la Cenco. « C'est la première fois qu'une opposition arrive à faire plier un régime en place en Afrique centrale », relève ce professeur de médecine de l'université de Lubumbashi. Pour Francis, un analyste politique congolais, la négociation était inévitable. « Les intérêts locaux, nationaux et étrangers sont si imbriqués que la seule option qu'il fallait prendre était une solution négociée. À Kinshasa, un mouvement populaire aurait peut-être pu obtenir le départ de Kabila mais rien ne prouve que l'opposition aurait pris le pouvoir. Il est difficile d'évaluer le coût de la violence et de son bénéfice éventuel et de prévoir qui aurait pu gagner dans cette affaire. »

L'opposition choisit finalement la négociation

Pour Jean-Jacques Wondo, un analyste politique congolais, si l'opposition avait pu faire l'économie d'une négociation, elle aurait montré sa position bien avant le 19 décembre 2016. Toutefois, deux problèmes ont, selon lui, fragilisé ces négociations. Primo, ces pourparlers ont débuté trop tôt. « Kabila avait peur de l'échéance du 19 décembre et d'un soulèvement populaire. Il aurait fallu le laisser mariner jusqu'au 31 décembre, tout en sachant qu'on finirait par des négociations. Ce qui aurait permis à l'opposition de négocier en position de force », assure Wondo. Secundo, l'absence de stratégie s'est doublée d'un déficit de communication. Avant le 19 décembre, le Rassemblement a encouragé la population à descendre en masse dans la rue pour indiquer à Kabila que le respect de la Constitution est sacré. Jusqu'à cette date, le ciment entre le Rassemblement et la population était solide. Il a commencé à se lézarder quand l'opposition a pris une autre direction. « Le 19 décembre, jour symbolique, la population s'attendait à ce que les politiciens l'accompagnent dans son mouvement, mais cela n'a pas été le cas. Le Rassemblement a opté pour la négociation, brisant ainsi le « gentleman's agreement » qu'il avait scellé tacitement avec la population et il n'a pas expliqué clairement à cette dernière le pourquoi de sa nouvelle tactique », analyse Wondo. Du coup, la population, désorientée, est dans l'expectative et ne sait plus à quels saints se vouer. « Elle se demande ce qui se passe dans les négociations en cours, et si le respect de la Constitution qui doit aboutir à l'alternance politique est bien toujours au centre des préoccupations des politiques. »