« La menace djihadiste dans l’est de la RDC est une pure invention »

Le chercheur Thierry Vircoulon déconstruit le mythe d’un mouvement djihadiste dans la région du Nord-Kivu, thèse « inventée » et exploitée par Kinshasa.

A l’est de la République démocratique du Congo (RDC), dans la ville de Beni et ses environs, les massacres se poursuivent malgré la présence des casques bleus. Tout a démarré en 2010 avec des enlèvements qui se sont transformés en tueries quatre ans plus tard. Plus de mille personnes ont perdu la vie, selon la société civile, égorgées le plus souvent, parfois tuées par balles. A en croire Kinshasa, ces exactions sont commises par les combattants d’un mystérieux groupe armé ougandais d’obédience islamiste, les Forces démocratiques alliées (ADF), considérés comme des « djihadistes ».

Co-auteur d’une étude intitulée « L’islam radical en République démocratique du Congo » publiée par l’Institut français des relations internationales (IFRI), le chercheur Thierry Vircoulon déconstruit le mythe d’un islamisme djihadiste dans la région du Nord-Kivu.

Les autorités congolaises se disent en « guerre contre le terrorisme » à l’est du pays. Y a-t-il une véritable menace djihadiste dans cette partie de la RDC ?

Thierry Vircoulon C’est une menace inventée et exploitée par les autorités congolaises et ougandaises. Le prétendu visage de l’islamisme radical dans la province du Nord-Kivu, frontalière de l’Ouganda, ce sont les ADF. Or les ADF n’ont pas de prétentions ni de caractéristiques djihadistes. Les faits sont vrais : des tueries abominables commises sur le territoire de Beni. Mais leur interprétation, une implantation djihadiste au cœur de l’Afrique  est sujette à caution, voire tendancieuse.

Ce que vous qualifiez d’« invention » s’inscrit-elle dans une stratégie politique de la part de Kinshasa sous pression de la communauté internationale ?

Cette rhétorique de Kinshasa a pour but de surfer sur la vague globale anti-terrorisme et d’essayer de s’attirer les bonnes grâces de puissances occidentales qui luttent contre le djihadisme. Et ce dans l’espoir de provoquer des réactions de solidarité. Ce qui est loin d’être le cas.

Il faut rappeler l’histoire de ce groupe armé, qui était composé de musulmans en lutte contre le régime ougandais et s’était réfugié à la frontière congolo-ougandaise au milieu des années 1990. A cette époque, il était bien vu des autorités zaïroises [Mobutu Sese Seko est encore au pouvoir]. Il s’était allié à un autre groupe de rebelles ougandais (les NALU) et fut un groupe armé comme les dizaines d’autres qui opéraient dans cette région pendant presque vingt ans. Et puis en 2013-2014, il y a eu un tournant et les ADF ont commencé à cibler les populations de manière répétée.