Deux ans après la fin du M23: blocage du rapatriement des ex-rebelles en RDC

Les rebelles du M23 font leur entrée dans la ville de Goma, capitale provinciale du Nord-Kivu, mardi 20 novembre 2012.

Du 12 décembre 2013 au 12 décembre 2015, deux ans se sont déjà écoulés depuis la signature de «Déclarations de Nairobi», marquant la fin de la rébellion du M23 qui avait occupé pendant plus d’une année plusieurs localités du Nord-Kivu. Mais, à ce jour, Kinshasa et les ex-rebelles s’accusent mutuellement de ne pas respecter les engagements pris dans la capitale kenyane. Parmi les points de blocage: le rapatriement des ex-combattants du M23 qui ont trouvé refuge au Rwanda et en Ouganda. Entre-temps, les défis de reconstruction des « zones libérées » au Nord-Kivu se posent avec acuité. Retour sur les faits.
 
M23, de la mutinerie à la rébellion

Mi-avril 2012, l’armée congolaise faisait face à une mutinerie en son sein. Début mai, elle a lancé des opérations pour neutraliser militaires indisciplinés, avant de les suspendre quatre jours après. Selon plusieurs sources dans le territoire de Masisi, nombreux en débandade avaient pris la direction du parc national des Virunga. D’autres étaient signalés du côté des hauts plateaux d’Uvira et de Fizi (Sud-Kivu).

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C’est dans ce contexte que des militaires déserteurs, se réclamant du haut commandement militaire de l’Armée nationale congolaise (ANC), ont créé un nouveau courant politico-militaire dénommé Mouvement du 23 mars (M23). L’annonce de la création de ce mouvement est contenue dans un communiqué de presse du dimanche 6 mai signé par le lieutenant-colonel Kazarama Vianney, son porte-parole. Le but de ce mouvement, selon ses initiateurs, est de «redynamiser l’application » de l’accord de paix signé le 23 mars 2009 entre le gouvernement congolais et l’ex-rébellion du Congrès national pour la défense peuple (CNDP).
 
Les rebelles du Mouvement du 23 mars occupent depuis lundi 1er octobre 2012 tous les villages situés sur l’axe Kiwanja-Ishasha, long de 60 kilomètres au nord-est du territoire de Rutshuru (Nord-Kivu). Selon plusieurs sources dans le secteur, les éléments du M23 sont partis de Kiseguru, à 17 kilomètres au nord-est de Kiwanja. Ils ont progressivement occupé Katuiguru, Kisharo, Buramba et Nyamilima, avant d’arriver à Ishasha, tard dans la nuit.
 
Ishasha est le troisième poste frontalier entre la RDC et l’Ouganda après Kasindi et Bunagana. Ce dernier poste réalise entre 500 et 700 000 dollars américains des recettes douanières mensuelles, d’après des sources de la Direction générale des douanes et accises (DGDA). Il est passé sous le contrôle des rebelles du M 23 début juillet 2012.
 
Mais la plus grande conquête, qui a suscité beaucoup de réprobation de la communauté internationale, c’est Goma, capitale provinciale, tombée aux mains des rebelles le 20 novembre 2012. Ces derniers ont alors exigé et obtenu l’ouverture de négociations avec Kinshasa à Kampala en échange de leur retrait. Le 19 décembre, en raison d'un désaccord au sujet de la signature du cessez-le-feu, ils quittent la table en pleine séance de pourparlers... Les pourparlers de Kampala avaient été suspendus, la RDC ayant refusé d’amnistier et de réintégrer tout le M23 dans son armée.
 
Accord-Cadre d’Addis Abeba

Entre-temps, la communauté internationale a multiplié des actions pour le retour de la paix en RDC et dans la région des Grands Lacs. Il s’agit notamment des appels à la reprise de ces négociations.
C’est dans cet élan que, le 24 février 2013, l’Accord-Cadre pour la paix et la sécurité dans l’est de la RD Congo a été signé à Addis-Abeba (Ethiopie) par neuf pays qui partagent les frontières naturelles et artificielles avec la RD Congo, y compris la République sud-africaine sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (Onu).

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Ce document appelle les pays de la région «à ne pas tolérer ni porter assistance ou soutien à aucune forme de groupes armés» en RDC. Il vise le retour de la paix dans l’Est de la RDC, en proie à des groupes armés nationaux et étrangers.

Nairobi, fin de la rébellion
 
 

La délégation du M23 aux négociations de Kampala (Ouganda). Ph. Innocent Olenga/Radio Okapi.

Après l’échec des pourparlers de paix à Kampala (Ouganda) entre Kinshasa et la rébellion du M23, les armes ont de nouveau retenti au Nord-Kivu. Au cours d’une contre offensive de 5 jours déclenchée par les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) le 25 octobre 2013 depuis la région de Kibumba, à 30 kilomètres de Goma, dans le Nord-Kivu, l’armée a infligé un dur revers aux rebelles.
 
La nuit de lundi 4 novembre au mardi 5 novembre 2013, le M23 décrochait de ses derniers bastions, les collines de Tchanzu et Runyoni, sous le feu des FARDC appuyées par les casques bleus.  La contre-offensive est menée par une unité commandée par feu le colonel Mamadou Ndala, avec l’appui de la brigade d’intervention de la Monusco. Celle-ci a été créée par le Conseil de sécurité de l’Onu, jeudi 28 mars 2013, pour combattre les groupes armés opérant dans l’Est de la République démocratique du Congo.
 
Malgré cette victoire, Kinshasa a affirmé sa détermination à poursuivre les négociations avec les rebelles. «Nous voudrions mener ces contacts jusqu’au bout pour obtenir de ces concitoyens un engagement de leur part que, quoi qu’ils aient comme revendications, ils les dérouleront de manière non violente, de manière démocratique», a expliqué le porte-parole du gouvernement congolais, Lambert Mende.

Le gouvernement de la RDC et la rébellion se sont ainsi retrouvés à Nairobi pour mettre fin au conflit. Ils ont signé le jeudi 12 décembre 2013 deux documents concluant leurs pourparlers entamés à Kampala en décembre 2012.

L’une de déclarations, signée par le M23, marque la dissolution de ce mouvement rebelle. Et l’autre, signée par Kinshasa, marque l’engagement de la RDC à mettre en place le programme de démobilisation, désarmement et réinsertion sociale des anciens rebelles et à présenter au Parlement congolais un projet de loi d’amnistie des éléments du M23.
 
Difficile processus de rapatriement
 

François Muamba, coordonnateur du mécanisme national de suivi de l’accord-cadre d’Addis-Abeba. Radio Okapi/ Ph. John Bompengo

L’ultimatum lancé par les ministres de la Défense de la Conférence internationale pour la région des Grands lacs (CIRGL) aux ex-M23 pour leur rapatriement en RDC doit expirer le 15 décembre 2015. A cet effet, une délégation multipartite Onu/CIRGL s’est rendue en Ouganda pour préparer le rapatriement volontaire d'un millier d'ex-rebelles du M23, qui s’y étaient réfugiés en novembre 2013.
 
Bertrand Bisimwa, président du M23 en exil en Ouganda, cité par Jeune Afrique, espère quant à lui que tout se déroulera dans le respect des droits de l’homme. Allusion fait à un précédent rapatriement qui avait mal tourné, le 16 décembre 2014, faisant plusieurs blessés par balle.
 
La CIRGL et le gouvernement congolais ont pris des initiatives unilatérales auxquelles les concernés ne sont pas associés, a déploré M. Bisimwa, indiquant avoir appris cette nouvelle par voie de presse. Pour lui, le rapatriement des ex-combattants  connaîtra certainement des difficultés, tant que le gouvernement congolais ainsi que la CIRGL, s’adresseront aux individus en lieu et place des leaders de l'ex-M23.
 
Du côté de la RDC, on soutient qu’il n’y aura aucune prolongation possible pour le rapatriement des ex-rebelles du  M23 vivant en Ouganda, après le 15 décembre. Le coordonnateur du mécanisme national de suivi de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba, François Muamba, l’a prévenu lundi 1er décembre, au cours dans cet entretien avec Donat Madimba :
 
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Le processus de rapatriement de ces ex-combattants prévoit la sensibilisation, l’identification des candidats volontaires au retour et le début le 8 décembre des rotations vers Kamina, où sont déjà cantonnés d’autres ex-combattants du M23. Mais à cette date, aucune rotation n’a été effectuée.
 
Efforts de stabilisation
 

Bureau de l'administration du territoire de Rutshuru (Nord-Kivu), réhabilité dans le cadre des projets à impact rapide de la Monusco. Décembre 2015. Photo Radio Okapi/Bernardin Nyangi

Le Mouvement du 23 mars avait occupé une bonne partie des territoires de Nyiragongo et Rutshuru pendant environ 18 mois. C’est le quatrième mouvement armé à occuper Rutshuru entre 1996 et 2013, après l’AFDL, le RCD et le CNDP.
 
Pendant l’occupation du M23, toutes les autorités locales avaient fui, le bureau de l’administration du territoire étant lui-même délocalisé dans le territoire de Lubero. 
 
Depuis deux ans, ce territoire est passé à la phase de «stabilisation», au cours de laquelle le gouvernement congolais et ses partenaires de la Monusco ont promis de relancer le développement local, faisant de Rutshuru un «ilot de stabilité.» L’administration territoriale a été réinstallée et certains projets à impact rapide ont été réalisés.

Avec une superficie de 5289 km carrés, Rutshuru est parmi les territoires les plus vastes du Nord-Kivu. Il compte deux collectivités chefferies, Bwisha et Bwito, subdivisés en sept groupements chacune.
 
Mais, les défis restent nombreux, indiquent différents acteurs locaux, surtout sur le plan sécuritaire. Les groupements Binza et Busanza Nord, en chefferie des Bwisha, sont plus affectés par l’insécurité qui entrave la restauration complète de l’autorité de l’Etat.
 
«Il ne manque jamais de cas isolés. Dans le groupement de Busanza Nord, ce sont des bandits et des voleurs à main armée. Dans le Binza aussi, il y a aussi des bandits. Mais nos services de sécurités sont en train de s’atteler pour que la situation redevienne normale», a promis l’administratrice adjointe de territoire, Liberta Rubumba.
 
Insécurité persistante
 
Deux ans après la défaite du M23, il y a quelques avancées sur le plan sécuritaire, a reconnu jeudi 10 décembre le président de la société civile coordination territoriale de Rutshuru, Jean-Claude Bambanzé. «Mais, beaucoup reste à faire parce qu’il y a recrudescence des groupes armés. Il y a aussi certains groupes de bandits qui continuent d’opérer dans ce territoire», a-t-il poursuivi, dénonçant notamment la multiplicité des cas de kidnappings et d’assassinats ciblés. Selon lui, Ces cas affectent pratiquement tout le territoire de Rutshuru. 
 
Certaines écoles ont été reconstruites, mais par rapport aux bâtiments administratifs et aux routes, «on ne voit pas d’efforts qui ont été faits», a-t-il affirmé.
 
Ecoutez Jean-Claude Bambanzé dans cet entretien avec Bernardin Nyangi :
 
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La période M23 est encore fraiche dans la mémoire des habitants de Rutshuru, un territoire situé aux frontières avec le Rwanda et l'Ouganda, où se sont réfugiés les ex-combattants. Le calendrier du rapatriement des ex-combattants du M23 se trouvant au pays de mille collines n'est pas connu. Beaucoup d’habitants de Rutshuru ont déclaré à Radio Okapi leur souhait de voir ce processus de rapatriement s’achever vite et bien.  

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