Paul Kagame : « Le Rwanda n’a pas été fait pour moi »-Jeune Afrique

RDC, France, opposition, gouvernance, CPI… L’homme fort de Kigali s’explique. Tout en laissant ouvert le débat sur son retrait (ou non) du pouvoir en 2017.

Il est un livre que Paul Kagame, 55 ans, donne à lire à ses visiteurs tant il reflète, selon lui, la véritable image de son pays. Rédigé par deux Américaines enthousiastes, Rwanda, Inc. décrit la success-story de ce petit État de 11 millions d’habitants où une « gouvernance exemplaire », inspirée par un « leader visionnaire », a fait jaillir un modèle de réussite économique et sociale sur les cendres du génocide. Ce cliché n’en est pas un, certes. Célébrée par les bailleurs de fonds, portée aux nues par une poignée d’investisseurs américains pour qui bonnes affaires rime avec bonnes actions, médiatisée par Bill Clinton et Tony Blair, l’expérience rwandaise fascine tous les visiteurs - en particulier africains - du pays des Mille Collines. Mais ce pays qui, en moins de vingt ans, a basculé de la francophonie à l’anglophonie, langue de la mondialisation, est avec autant de régularité accusé d’être un « État garnison » à la politique extérieure agressive, dirigé d’une main de fer par un PDG autoritaire. Ce revers de la médaille, qui a valu au Rwanda une suspension de l’aide internationale en 2012 pour son intervention supposée en RDC (mais qui ne l’a pas empêché d’être élu pour deux ans au Conseil de sécurité de l’ONU), Paul Kagamé souhaite l’effacer. Joueur de tennis émérite, fan de l’équipe de football d’Arsenal et de son entraîneur français, Arsène Wenger, le manager général de « Rwanda, Inc. » a longuement reçu J.A. une matinée pluvieuse de mai, à Kigali.

Jeune Afrique : Les derniers mois ont été difficiles pour vous : accusations d’ingérence chez votre voisin congolais, suspension d’une partie de l’aide étrangère, rapports critiques d’ONG… Quelles leçons en avez-vous tirées maintenant que le gros de l’orage semble passé ?

Paul Kagamé : Peu de chose en réalité. Ce n’est pas la première fois que le Rwanda rencontre ce genre d’incompréhension à propos de la situation dans l’Est de la RD Congo, et ce n’est pas la première fois que l’aide est suspendue à cause de cela. Les Rwandais ont appris à faire face à ces périodes difficiles. Les sanctions dont vous parlez ont été prises a priori, sur la base d’un projet de rapport de soi-disant experts de l’ONU, dont le Rwanda n’avait même pas été informé et sur la foi de rumeurs et d’allégations anonymes. Certes, les problèmes du Congo nous concernent dans la mesure où il abrite depuis dix-neuf ans une force armée revancharde issue du génocide de 1994 et qui n’a pas renoncé à « finir le travail ». Mais il appartient au gouvernement congolais et à la communauté internationale de les résoudre. Tout se passe comme si, ayant échoué, ils estimaient que le Rwanda devait payer pour cet échec. Nous ne l’acceptons pas.

Comment expliquez-vous que très peu de gens vous croient lorsque vous démentez toute interférence en RD Congo ?

Pourquoi a-t-on décidé de ne pas nous croire, alors que tout le monde s’accorde à reconnaître que les problèmes du Congo sont des problèmes fondamentalement congolais ? Qu’ils touchent à la gouvernance, à la citoyenneté, à l’identité de ce pays ? Pourquoi aussi peu de gens nous croient, alors que chacun se rend compte que la mission des Nations unies, qui était censée aider à rebâtir un État, ne sert manifestement à rien ? Pourquoi, depuis des années, la perception du Rwanda se base-t-elle non sur des faits vérifiés mais sur des communiqués de presse mensongers qui émanent d’ONG ou d’associations manipulées et qui sont complaisamment repris par les médias occidentaux ? Cette coordination antirwandaise, nous l’avons vue à l’oeuvre lorsqu’il s’est agi de nous empêcher d’être élus au Conseil de sécurité des Nations unies. Elle a échoué, bien sûr, mais je n’ai aucun doute : elle est prête à nuire de nouveau.

En réalité, le Rwanda pose problème pour deux raisons. La première est d’ordre psychologique et historique. La communauté internationale n’a su ni prévenir ni arrêter le génocide des Tutsis, encore moins gérer ses conséquences. D’où un lourd sentiment de culpabilité. Pour l’alléger, il faut que le Rwanda soit en permanence coupable de quelque chose. Phénomène classique : on soulage sa mauvaise conscience en attaquant. La seconde raison touche au rapport de l’Afrique avec le monde : de par son histoire spécifique, le Rwanda est en tête du combat pour une Afrique digne, libre, maîtresse de sa destinée et de ses ressources. Cela ne plaît pas à tous, c’est une évidence : « Ramenons-les à leur petit niveau », se disent-ils… Lire la suite sur jeuneafrique.com