Tintin superstar au Congo-Le Monde

« Au Congo, on lit Tintin à l’école, on lit Tintin à la maison… On lit Tintin partout ! » Arborant fièrement son édition, Auguy Kakese, sculpteur à Kinshasa, explique la « fierté » qu’il a de lire et relire les aventures du reporter à la houppette. Loin des critiques européennes, les aventures de Tintin jouissent en République démocratique du Congo (RDC) d’une notoriété sans pareille.

Cela fait quinze ans qu’Auguy Kakese fait des statuettes de Tintin son fonds de commerce. Comme lui, ils sont à Kinshasa une dizaine à sculpter figurines et jeux d’échecs sur les personnages de la bande dessinée. « Au début, c’était pour répondre à une demande des expatriés européens, avoue-t-il en montrant du doigt l’ambassade de France en RDC, à quelques centaines de mètres de son atelier. Et puis ça s’est développé. Aujourd’hui, beaucoup de Congolais en veulent aussi. »

Le sculpteur montre volontiers ses statues. Tout le monde y passe : Tintin et Milou, donc, mais aussi le capitaine Haddock, le professeur Tournesol, la Castafiore, les frères Dupont et Dupond… « Nous participons à faire découvrir notre fierté nationale, avance Auguy Kakese, entouré de ses six sculpteurs au travail. Si vous allez à Lubumbashi [sud-est du pays, à plus de 1 600 km de Kinshasa], vous trouverez par exemple une de mes statues, de taille humaine, à côté d’une banque. »

Il affirme sans détour qu’« au moins 75 % » des Congolais ont lu Tintin au Congo. Si le chiffre est difficilement vérifiable, il témoigne de la place qu’accordent les Congolais au héros de Georges Rémi, plus connu sous son pseudonyme Hergé.

Tout commence quand Zaïre, l’hebdomadaire de l’Afrique centrale, un magazine lancé par le dictateur Mobutu, réclame en 1970 la réédition de l’album, introuvable depuis une dizaine d’années. Celui-ci avait été publié en 1930, réédité en couleur en 1946, mais avait disparu des rayons de librairies à la fin des années 1950, sous la pression de l’éditeur Casterman, accusé d’avoir publié une bande dessinée aux contours racistes.

« Hergé en avait conclu que si les Congolais eux-mêmes demandaient à lire cette œuvre dont il avait tout de même un peu honte, il pouvait la ressortir, analyse Christophe Cassiau-Haurie, auteur de L’Histoire de la bande dessinée congolaise (Paris, L’Harmattan, 2010, 294 pages). C’est une des premières œuvres artistiques à faire rentrer le pays dans l’imaginaire mondial, donc c’est un motif de fierté pour eux. »

Fierté donc, et ce, malgré les clichés auxquels renvoie l’album de Hergé. Quand on évoque les préjugés qui ont valu à la bande dessinée un procès pour racisme en Belgique en 2007, les intéressés balaient d’un revers de la main. « Les noirs à grosses lèvres ? C’est une caricature ! Il fait de l’humour, comme vous en faites sur les Belges en France, rétorque Auguy Kakese. Il voulait seulement amuser, c’était le but de Tintin, non ? »

Une rhétorique que l’on retrouve chez tous les Congolais interrogés. « Quand on voit les caricatures sur les Blancs aujourd’hui, on ne peut pas dire non à celles sur les Noirs », explique pour sa part Michel Kitiki Mwamba, propriétaire de l’établissement Chez Tintin. Sur les rives du fleuve Congo, loin de l’excitation du centre-ville, il a monté son bar en 1997, à la chute du régime mobutiste. Ancien colonel de l’armée régulière et pilote attitré du dictateur Mobutu, il quitte l’armée pour lancer son affaire.

« Au début, j’avais appelé mon bar Côte d’Azur, mais ça n’a pas marché, explique-t-il. Comme j’avais une statue de Tintin à l’entrée, les gens répétaient tout le temps “Chez Tintin, chez Tintin”, donc le choix a été rapide ». La notoriété du personnage aidant, son bar est aujourd’hui l’un des rendez-vous favoris des Kinois, profitant du coucher de soleil sur le fleuve, une bière Primus à la main.