Depuis le 5 juin 2025, les autorités de la RDC ont décidé de changer l’ancien passeport biométrique en le remplaçant par un nouveau, jugés plus sécurisé et répondant aux normes internationales. Pour l’obtenir, il faut s’armer de patience, déplorent les requérants.
Le processus pour obtenir ce nouveau document n’est pas de tout repos. Des milliers de personnes, notamment des étudiants qui ont entamés la procédure pour obtenir leur passeport, depuis plusieurs mois mais sans succès.
Jean-Pierre fait partie des nombreux requérants au bureau des Affaires étrangères à Kinshasa. Ce jeune étudiant que les reporters de Radio Okapi ont rencontré, affiche une mine fermée, entre désespoir et colère.
Depuis six mois, il attend son passeport tant convoité, nécessaire pour partir étudier à l’étranger :
« J’ai une bourse depuis longtemps, mais faute de ce document, je reste bloqué ici », confie-t-il. Chaque jour, il se rend au bureau des Affaires étrangères, espérant une délivrance qui tarde.
« On me dit que c’est un problème d’impression », déplore-t-il, frustré en rappelant que « ma bourse, mon inscription, tout est en jeu ».
Les conséquences sont lourdes pour de nombreuses familles. Une mère de famille raconte avec peine avoir dû annuler le voyage à l’étranger de son fils, faute de passeport. Elle explique : « J’avais besoin de ce document pour l’emmener se faire soigner en Europe. C’est la santé de mon enfant qui est en jeu. C’est vraiment une grande déception ».
La situation n’est pas isolée. Des centaines de personnes se rendent quotidiennement au centre de traitement des passeports mais l’attente se prolonge, l’espoir s’effrite. Il y a quelques jours, une cinquantaine d'entre elles ont manifesté devant ce centre pour exprimer leur exaspération.
En toile de fond : la transition entre l’ancien prestataire belge et une nouvelle entreprise congolaise, incapable d’accéder aux bases de données précédentes. Résultat : 126 000 dossiers bloqués.
Ces dossiers bloqués concernent en grande partie ceux qui ont fait leur demande avant le changement de prestataire. Ils sont enrôlés, mais leurs passeports ne seront peut-être jamais imprimés.
Témoignage de ce demandeur :
« J'ai fait ma demande en 2024, avec l'ancienne procédure. Tout avait été fait, j'avais même reçu le reçu. Mais on me dit qu'il faut tout recommencer. Que dois-je faire de l'argent que j'ai déjà payé ? C'est un manque de respect ».
Une situation qui pénalise fortement les étudiants, comme Anne : « Mon visa pour le Canada, ma bourse, tout était prêt. J'ai payé cher le passeport pour avoir la chance d'aller étudier à l'étranger. Aujourd'hui, on me dit que mon dossier est bloqué. Je ne peux rien faire ».
Un autre d’ajouter :
« Je ne sais pas si je reverrai mon passeport un jour. C'est une grande déception. On se sent abandonné par son pays ».
L’ancienne société produisait entre 3 000 et 5 000 passeports par jour. La nouvelle peine à en sortir 500. Des agents du ministère évoquent un manque de capacité technique et de personnel qualifié.
« On nous met la pression, mais on ne peut pas faire de miracle », confie l’un d’eux sous anonymat.
Procédure numérique : un parcours d’obstacles
La procédure en ligne semble en théorie. Mais dans la réalité, c'est un parcours semé d'embûches. Pour obtenir le passeport, il faut d'abord payer en ligne : un processus parfois complexe. Ensuite, prendre un rendez-vous pour l'enrôlement. Et c'est là que le calvaire commence.
Cette procédure censée simplifier les démarches, est devenue un casse-tête.
Jean-Luc raconte : « Le site ne fonctionne jamais. J’ai dû y aller plusieurs fois. Et sur place, la file est interminable ».
Certains dénoncent des frais informels et des délais interminables. Une dame témoigne avoir payé 180 dollars, attendu des heures pour la capture, et deux semaines plus tard, toujours aucun passeport.
« J’ai dû remplir en ligne un formulaire de demande de passeport depuis le 15 juin. J’ai attendu, sans succès, pendant un mois. J’ai donc rencontré un agent des Affaires étrangères qui m’a demandé 180 USD. Après deux semaines, j’ai reçu un SMS m’invitant à me présenter pour la capture à 08h45. Je suis arrivé à 07h30 au lieu de capture, en face du Palais du Peuple. Mais on ne m’a capturé qu’après 17h30. Et cela fait maintenant deux semaines que j’attends de récupérer mon passeport », raconte -t-elle.
Une polémique politique
Le choix du nouveau prestataire, selon plusieurs sources, aurait été influencé par la Présidence. Des voix s’élèvent pour dénoncer un manque de transparence dans la gestion de ce dossier crucial.
« Ce n’est pas une question de compétence. C’est un choix politique », affirme un agent.
Un analyste politique, souhaitant rester anonyme, souligne les risques d'une telle décision, qui met en jeu un document national crucial pour la sécurité et l’identité :
« Le choix d'un prestataire pour un tel marché ne devrait pas être influencé par des intérêts politiques. C'est un marché trop important. Si le service est défaillant, c'est l'État qui perd en crédibilité ».
Seul l’assouplissement de la procédure numérique demande de passeport et le renforcement des capacités de production pourrait améliorer la situation, soutiennent certains agents du ministère des Affaires étrangères, sous anonymat. En attendant, des milliers de Congolais restent privés d’un document pourtant essentiel à leur avenir.