CPI: «Le principe de complémentarité garantit la souveraineté des Etats»

Le 1er juillet 2017, la Cour pénale internationale a totalisé 15 ans. C’est le 1er juillet 2002 qu’entrait en vigueur le Statut de Rome qui crée cette juridiction. Pour faire le bilan de cette juridiction qui a jugé et juge encore des Congolais, Radio Okapi a interrogé Patrick Tshibuyi, l’un des responsables de l’unité de sensibilisation à la représentation de la CPI en RDC. M. Tshibuyi explique notamment l’un des principes fondamentaux de la CPI : le principe de complémentarité. «La CPI n’exerce sa mission que si les systèmes nationaux, c’est-à-dire les tribunaux nationaux, n’ont pas la volonté ou la capacité de le faire», explique-t-il.
 
Radio Okapi : Quelle était la mission de la CPI à sa création ?
 
Patrick Tshibuyi : En résumé, la Cour a été créée pour enquêter et poursuivre les auteurs des crimes graves, à savoir : les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les crimes de génocide et les crimes d’agression. Toutefois- il est important d’insister là-dessus- la CPI n’exerce cette mission que si les systèmes nationaux, c’est-à-dire les tribunaux nationaux, n’ont pas la volonté ou la capacité de le faire. C’est ce qu’on appelle le principe de complémentarité. C’est ce principe de complémentarité qui garantit la souveraineté des Etats dans la mesure où on reconnaît que c’est d’abord aux Etats de pouvoir poursuivre en premier lieu les auteurs des crimes qui sont de la compétence de la CPI.
 
Et si ce sont les Etats qui sont eux-mêmes les présumés auteurs de ces crimes ?

 
La CPI ne poursuit pas les personnes morales. Seules les personnes physiques relèvent de la compétence de la Cour pénale internationale. Mais nous avons au sein du Statut de Rome, une disposition fondamentale qui est l’article 27 qui parle du défaut de pertinence de la qualité officielle. Ça voudrait dire que les individus peuvent être poursuivis quel que soit leur rang social. Un chef d’Etat, un membre de gouvernement, un député, un sénateur peut être poursuivi devant la Cour pénale internationale parce que la CPI ne reconnaît pas le statut officiel.
 
Quinze ans après, quel est le bilan de la CPI ?
 
Quinze ans après, nous avons 24 affaires qui ont été ouvertes devant la CPI. Nous avons eu neuf condamnations et un acquittement. Six suspects sont détenus par la Cour. Il faut aussi ajouter que nous avons six affaires qui sont au stade du procès, deux en phase d’appel, trois en phase de réparation. Nous avons malheureusement 14 suspects qui sont encore en fuite parce que les mandats d’arrêt lancés à leur encontre ne sont pas encore exécutés.
 
Parmi les affaires déjà traitées ou en cours de traitement, il y a des affaires congolaises…
 
Dans les affaires congolaises, vous avez l’affaire le procureur contre Thomas Lubanga qui avait été reconnu coupable et qui purge sa peine ici en RDC. Germain Katanga qui avait été reconnu coupable et qui a déjà fini de purger la peine qui a été prononcée contre lui par la CPI. Mais il reste en détention parce qu’il est poursuivi par la justice nationale congolaise pour d’autres faits que ceux pour lesquels il a été condamné par la CPI. Matthieu Ngudjolo a été acquitté. Actuellement, nous avons le procès Bosco Ntaganda qui est en cours. Et nous avons un suspect, Sylvestre Mudachumura qui n’est pas encore arrêté parce qu’il est en fuite.
 
Vous avez évoqué le procès Thomas Lubanga. Où en est-on avec le processus d’indemnisation des victimes ?
 
Concernant les réparations dans l’affaire Thomas Lubanga, nous attendons la décision qui  sera rendue par les juges parce qu’il faut rappeler un principe fondamental : les réparations ne peuvent être accordées que si l’accusé a été reconnu coupable. C’est comme cela que dans l’affaire Matthieu Ngudjolo, comme il a été acquitté, nous n’aurons pas de réparations pour les victimes. Mais dans l’affaire Thomas Lubanga, nous attendons la décision sur les réparations étant donné qu’il a été reconnu coupable. Mais les juges ont rendu dans une autre affaire, l’affaire Germain Katanga, la première décision sur les réparations. C’était au mois de mars 2017 que la CPI a rendu sa  première décision sur les réparations au profit des victimes dans l’affaire Germain Katanga. C’est également un élément à mettre dans le bilan de la CPI parce que pour la première fois de l’histoire de la justice pénale internationale des victimes obtiennent réparation devant une juridiction pénale internationale. Ça n’a jamais existé ni devant le tribunal de Nuremberg ni au tribunal pénal international pour le Rwanda ni au tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.
 
Mais des réparations collectives et symboliques…
 
Des réparations individuelles accordées à 250 victimes dans l’affaire Germain Katanga qui se concrétisent en indemnisation décidée par les juges. Indemnisations symboliques, c’est vrai, de 250 dollars que chacune des 250 victimes recevra. Indemnisations collectives également que les juges ont décidées qui prendront la forme d’aide au logement, d’aide à l’éducation, de soutien psychologique qui sont des réparations collectives prononcées au bénéfice des 250 victimes.
 
Aujourd’hui il y a des violences aux Kasaï depuis 2016. Que compte faire la CPI ?
 
Madame le procureur de la CPI, Fatou Bensouda, a eu dans sa déclaration du 31 mars 2017 à rappeler que son bureau continuer son travail en RDC et qu’elle n’hésiterait pas à agir si des actes constitutifs de crimes relevant de la compétence de la cour sont commis et elle prendra toutes les mesures qui s’imposent pour poursuivre en justice les personnes responsables en conformité avec le principe de complémentarité.
 
Propos recueillis par Honoré Misenga.

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