Sonia Rolley : « C’est la première fois qu’on a des témoins qui affirment avoir participé à l’assassinat de Floribert Chebeya »

Radio France internationale (RFI) diffuse depuis mardi 9 février les témoignages des policiers congolais, Hergil Ilunga et Alain Tayeye, après une enquête menée par sa journaliste Sonia Rolley. Ces deux témoins accusent le général John Numbi, d'être le principal commanditaire de cet assassinat. Ces deux policiers affirment avoir participé à l’assassinat de Floribert Chebeya. « Ils disent qu’on a étouffé Floribert Chebeya et Fidèle Bazana », relate Sonia Rolley, invitée de Radio Okapi. Dans une interview, elle parle de la crédibilité de ces témoins, des étapes de confrontations de leurs récits avec d’autres sources et de ce que veulent les familles des victimes. Interview.  

Radio Okapi : Votre radio, RFI (Radio France internationale) diffuse depuis hier [mardi 9 février 2021] des nouveaux témoignages des auteurs présumés de l’assassinat de Floribert Chebeya. Qu’en est-il au juste ?

Sonia Rolley : Il s’agit de deux policiers, Hergyl Ilunga, qui était adjudant à l’époque, et qui affirme avoir participé à ce double assassinat. Il y a aussi Alain Kayeye qui était brigadier-chef et qui était présent pendant les assassinats, il était chauffeur et se déplaçait avec les voitures. Il nous explique exactement ce qui était fait avec les corps et comment ils [Chebeya et Fidèle Bazana] étaient tués.

Comment avez-vous fait pour retrouver les traces de ces témoins ?

Quand ils sont partis, c’était en route, et c’est en moment-là qu’il y a un article sur le blog d’Africarabia, qui donne leurs noms et donne leurs photos. Et c’est en ce moment-là, que le général John Numbi a été écarté de ses fonctions officielles. En ce moment, il n’est plus inspecteur général de la Police. On parle ou on commence à murmurer qu’il y aura peut-être des arrestations. Ces policiers s’en vont, et nous sommes informés de cette situation très tôt, qu’il y a de potentiels témoins de l’assassinat de Chebeya qui sont en train de fuir le pays et qui ne sont pas en sécurité. On a attendu tout ce temps jusqu’à aujourd’ui, parce qu’on attendait qu’ils soient en sécurité quelque part, et qu’ils soient éloignés de la République démocratique du Congo (RDC), pour les interroger.

En résumé, que rapportent ces témoins ?

Il y a beaucoup de choses qu’on savait, à travers des enquêtes des ONG, des témoignages comme celui de Paul Milambwe, mais c’est la première fois qu’on a des témoins qui affirment avoir participé à l’assassinat, qui disent qu’on a étouffé Floribert Chebeya et Fidèle Bazana. C’est quand même assez fort. Ils s’impliquent eux-mêmes. Ça donne plus de crédibilité au témoignage. Ils vont nous raconter tous les détails de cette nuit, de manière très précise, ils expliquent comment ils s’y prennent et qui sont présents. Mais finalement ce n’est pas les bons noms. Mais il y a quelques-uns qui se recoupent. Il y a bien le major Christian Kenga Kenga qui est devenu colonel depuis, et il y a aussi le colonel Mukalayi, qui sont cités par ces policiers.

Quel est le rôle du général dans leurs récits ?

Le général Numbi, selon ces témoins, les aurait protégés. Eux ne parlaient pas avec le général Numbi, mais avec le colonel Christian Kenga Kenga. C’est lui qui pilotait l’opération d’assassinat, qui pilotait les exécutants. Il les aurait amenés chez le général Numbi, d’abord à Gombe, ensuite à travers un avion-cargo, ils se retrouvent à Lubumbashi, dans la ferme du général Numbi, en attendant que l’histoire se calme, vous vous souvenez que ça a fait beaucoup de bruits. Ils sont ensuite intégrés dans la police. Pendant 10 ans, ils ne bougent pas de cette zone de l’ex-province du Katanga, ils sont dans la police des mines, ils sont cachés et rappelés chez le général Numbi, chaque fois qu’il y a de nouvelles informations qui sortent.

Combien de fois cela a pris pour retrouver ces personnes qui témoignent aujourd’hui ? ça vous a pris quand même du temps ?

Ce n’est pas que ça nous a vraiment pris du temps de les trouver, mais ça nous a pris du temps d’abord qu’il soit en sécurité. Nous attendions qu’ils soient en sécurité pour les interroger, il fallait réfléchir à chaque scène qu’ils nous racontaient pour savoir comment les confirmer. Il y a quand même des éléments des témoignages déjà qui évoquaient ça. Nous avons interrogé Kalala Kalao, qui était le chauffeur civil du colonel Mukalay, qui est l’un des principaux accusés dans ce dossier. Le chauffeur dit avoir vu ces personnages. Paul Milambwe a dit avoir vu ces personnes sur le terrain. On avait besoin de confirmer leurs identités, confirmer le plus possible ce qu’ils avaient fait et chercher tous les éléments d’informations pour voir si [leurs témoignages] correspondaient.

Ils sont dans quel état psychologique ?

Ils sont déterminés à parler, et disent avoir eu peur de se livrer à la justice congolaise, parce qu’ils estimaient que le général John Numbi n’étant pas arrêté, à l’époque, ou d’autres officiers n’étant pas arrêtés, ils risquaient d’être tués, s’ils se mettaient d’avouer ces genres des choses. Ils ont un peu suivi la voie de Paul Milambwe, qui était le premier policier à faire ça, et de se dire, on va aller à aller à l’étranger, on va parler dans les médias, et ensuite, on va parler à la justice, et comme ça on va nous sécuriser et sécuriser nos familles, et on pourra parler.

Avec ces nouveaux témoignages, à quoi peut-on s’attendre ? La réouverture du procès ?

Il y a de nouveaux éléments qui sont là, ne serait-ce que ce qui n’a pas été fait à l’époque du procès. On aurait une localisation du corps de Fidèle Bazana, pour l’exhumer, et le Bureau conjoint des Nations unies pour les droits de l’homme (BCNUDH) évoquait l’idée au soutien à la justice congolaise dans ce domaine. C’est la première chose à faire, pour savoir si ce que disent les témoins est vrai, pour vérifier si le corps de Fidèle Bazana est bien dans la concession privée du général Djadjidja. La deuxième chose, c’est d’interroger ces témoins. Il y a tout un commando qui a toujours échappé à la justice. Ils sont 5 ou 6 à n’avoir jamais été inquiétés, et qui sont toujours en cavale. Maintenant, on a enfin leurs noms. On sait qui sont ces personnes. Et le procès n’était pas très clair pour la définition des responsabilités, comme le pointent des ONG de défense des droits de l’homme et la famille. C’est vrai qu’on avait des gens comme Daniel Mukalayi, qui était le chef des renseignements généraux et des services spéciaux de la Police et le major Christian Ngoy Kenga Kenga qui était accusé et qui était celui qui a fait cet assassinat sur le terrain, mais n’avait pas encore été arrêté et qui a été transféré à Kinshasa, en septembre dernier. Il y avait un autre suspect, Jacques Mugabo, qui est toujours en fuite. Une autre chose que réclament les familles, c’est l’arrestation du général John Numbi, sur base de ces témoignages, mais comme d’autres, ça fait des années qu’ils réclament l’arrestation de Numbi, est-ce que la justice va leur accorder ça ? On verra dans les prochaines semaines.

Vous pouvez suivre l'intégralité de cette interview en sonore, en cliquant sur cette icône:

 

Propos recueillis par Jr Lungembo.

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