Le professeur Denis Mukwege a récemment été victime d’une tentative d’assassinat en RDC. Il se bat pour redonner espoir aux femmes violées dans l’est du Congo. La journaliste et écrivain Colette Braeckman explique pourquoi son combat est vital.
SlateAfrique – Pourquoi avoir consacré un ouvrage à Denis Mukwege?
Colette Braeckman - Je connais le Dr Mukwege depuis ses débuts à Bukavu, et je l’ai vu évoluer. Au début, il était simple gynécologue, qui traitait surtout les cas de grossesses précoces, très fréquents au Kivu. Depuis une quinzaine d’années, il est confronté à des horreurs croissantes, femmes mutilées, violentées de la pire manière.
Témoin de la première heure des guerres qui ont ravagé l’Est du Congo, ce citoyen et pasteur a aussi été amené à se poser des questions politiques: pourquoi ce déferlement d’horreurs, n’y aurait-il pas une volonté d’anéantissemennt de la résistance des populations, pourquoi une telle impuissance internationale?
Lorsqu’il a été lauréat du Prix Roi Baudouin pour le développement en 2011 et est venu en Belgique, j’ai eu l’idée de mener avec lui un livre d’entretiens afin d’enregistrer son témoignage, de faire de lui le fil conducteur de l’histoire troublée de cette région. Dans ce but, j’ai mené avec lui une série d’entretiens à Bukavu, j’ai passé du temps dans son hôpital et me suis entretenue avec son équipe.
Au moment de la sortie du livre, le Dr Mukwege se trouvait en Belgique et, à l’occasion d’une conférence publique, il a à nouveau posé des questions très dérangeantes, pour les autorités congolaises, pour les pays voisins et surtout le Rwanda, pour la «communauté internationale» et en particulier les Nations Unies. A son retour, le 25 octobre 2012, cinq hommes armés l’attendaient chez lui, ils ont abattu sa sentinelle et l’ont laissé pour mort, couché au sol. C’est un miracle s’il a échappé à cinq ou six tirs qui le visaient.
SlateAfrique – Comment expliquer qu’on ait récemment tenté de l’assassiner?
C.B – Pourquoi cette agression? Parce que le Dr Mukwege dérange, à tous niveaux, parce qu’il est l’un des Congolais le plus connus, parce qu’il a parlé à l’Assemblée générale des Nations Unies et donné une «mauvaise image» hélas bien réelle de la situation humanitaire au Kivu, et en particulier celle des femmes… Ses agresseurs n’ont pas été identifiés et il ne semble même pas qu’il y ait eu une enquête sérieuse. C’est dire.
Le Dr Mukwege est certainement un témoin gênant. Au cas où il aurait archivé les témoignages de toutes les femmes violées, mutilées qui se sont présentés à lui, il aurait là un volumineux dossier dans lequel la justice internationale pourrait certainement puiser des indications et des témoignages. Rien que pour cela, tous les chefs de guerre de la région auraient intérêt à le voir disparaître ou se taire ou partir en exil…
SlateAfrique – Le viol est-il utilisé comme arme de guerre en toute connaissance de cause?
C.B-Viol, arme de guerre? Cela me paraît une évidence, car dans les cas que l’on voit au Kivu, la recherche du plaisir, la jouissance n’ont pas leur place. Il s’agit d’actes de terreur, visant à provoquer la fuite, la déchéance, le désespoir de populations civiles dont on veut prendre les terres ou les richesses. Il est impossible de dire et encore plus de démontrer qu’il y aurait un «chef d’orchestre» —personnellement je ne le crois pas— mais je me demande si la politique de terreur, de mort lente (par l’inoculation du sida) ne sert pas à long terme, la poussée vers l’Ouest de pays voisins plus peuplés et qui manquent de terre. Il s’agit là d’un «mouvement long» de l’histoire…
SlateAfrique – Vous insistez beaucoup sur les puissants liens qui existent entre le Rwanda et la RDC. Comment comprendre que l’antagonisme demeure aussi fort?
C.B. – Les liens entre le Rwanda et le M23, et plus largement les mouvements rebelles composés de Tutsis congolais et d’autres groupes ethniques sont complexes: même si Kigali affirme souhaiter la bonne gouvernance, le rétablissement de l’Etat de droit au Congo, les liens de bon voisinage avec une autorité légitime, cette situation normalisée ne peut que nuire à de nombreux réseaux commerciaux qui opèrent de manière mafieuse ou à la marge de la légalité.
Réseaux qui exploitent les ressources minières du Nord et du Sud Kivu et qui, pratiquement tous, transitent par le Rwanda, ce qui fait tourner les usines dans ce pays et gonfle la balance des paiements. Lire la suite sur slateafrique.com